Est-ce que tu pourrais te présenter en quelques mots et nous parler du rôle de chargé de mission ?
Je m’appelle Quentin Vilsalmon, je suis chargé de mission de la thématique Citoyenneté et Territoires à Initiative développement depuis trois ans et demi désormais. Le poste de chargé de mission Citoyenneté et Territoires (CT) est un poste assez central à ID, nous faisons l’interface entre le suivi de projet qui est réalisé sur le terrain et les activités qui sont conçues lors du montage des projets. Nous appuyons donc les équipes aussi bien dans le montage de projets que dans leur mise en œuvre de ceux-ci. Nous avons par ailleurs une mission transversale, à savoir de créer l’expertise sur les thématiques et les sujets que nous investissons sur les territoires d’intervention. Par exemple, sur la thématique Citoyenneté et Territoires, les grands sujets sur lesquels nous appuyons techniquement nos équipes sont: la gouvernance participative, le développement local, les approches territoriales, la participation citoyenne. La thématique intervient aujourd’hui dans un grand nombre de pays. Nous avons des projets en Haïti, au Bénin, au Congo-Brazzaville, au Tchad, à Madagascar et bientôt au Sénégal.
Quelle est la spécificité de la thématique Citoyenneté et Territoires ?
Notre expertise la plus développée est sur la mise en place de cadres de concertation, ce sont des espaces où plusieurs acteurs se réunissent pour dialoguer autour de projets de territoire, au sens d’une vision collective et commune de développement du territoire. L’idée est de laisser la place à l’expression d’une pluralité d’acteurs très divers et très diversifiés, cela peut être les autorités locales, les collectivités décentralisées, les associations, les acteurs socio-économiques, et les citoyen.ne.s. L’enjeu de ces cadres de concertation est clairement de pouvoir discuter ensemble du futur du territoire et de pouvoir peser en partie sur la décision d’aller vers une orientation ou une autre du développement territorial. Depuis deux ans, nous renouvelons ce type d’approche pour s’adapter toujours plus aux contextes locaux et notamment aux citoyennetés émergentes dans la plupart des pays où nous travaillons. Ces nouvelles formes d’espaces de dialogues peuvent être des débats thématiques entre élus et citoyens, des ateliers de redevabilité. Nous appuyons donc par exemple des collectivités territoriales à rendre compte à leurs administré.es de l’action qu’elles ont menée dans l’année, ce qui est un gage de transparence. Nous avons aussi expérimenté au Tchad une conférence citoyenne. La conférence citoyenne est une sélection de citoyen.ne.s représentatifs de la société qui sont formées par des experts (formation avec débats contradictoires sur les avantages et inconvénients de certaines propositions) sur un sujet qui est défini en amont. Ils ont plusieurs jours de réflexion pour produire des recommandations à destination des pouvoirs publics. Par exemple au Tchad, la conférence citoyenne a été menée sur la question de la gestion des déchets.
Peut-on mesurer les impacts des actions d’ID aussi bien du côté des collectivités locales que du côté des administré.e.s ?
C’est un peu compliqué à mesurer de façon très claire, puisque c’est intangible. Ce que nous avons pu mesurer en réalisant une étude des impacts sur nos actions de développement local depuis 10 ans, c’est le renforcement de l’engagement des citoyens, le renforcement de la transparence des institutions, mais que ce renforcement-là reste menacé par les contextes nationaux et leur fragilité. Nous avons par exemple le cas d’Haïti, où ID et son partenaire ADEMA travaillent depuis plus de dix ans dans le département du Nord-Ouest, en appui à huit communes du Nord-Ouest. Dans ces communes, globalement, le contexte s’est amélioré, cependant l’impact global de notre action reste menacé par le contexte haïtien qui, nous le savons, est marqué par des crises à répétition et des institutions locales fragiles. C’est compliqué pour eux de pouvoir maintenir ces dynamiques présentes : un cadre de concertation nécessite pour fonctionner d’un engagement, d’une volonté politique et humaine, mais aussi de moyens pour le financer. Et c’est souvent là que la dynamique peut être fragilisée avec peu de capacité ou des contraintes pour financer ce type de dispositif dans la durée.
Au-delà des cadres de concertation et des espaces de discussion, y a-t-il d’autres moyens de faire participer les différentes parties prenantes ? En tout cas en ce qui concerne les projets qui sont mis en place ?
Nous travaillons vraiment sur la question de la participation au sens large. La plupart des méthodologies que nous mettons en œuvre sont participatives. Cela commence par des diagnostics qui se veulent participatifs, en impliquant la population dans leur réalisation, dans l’élaboration de plans de développement également, puisque nous interrogeons et nous faisons participer la population dans la priorisation des intérêts et des enjeux de développement du territoire. C’est bien les citoyen.ne.s qui participent en tant que tel à définir leurs priorités actuelles, par exemple travailler à renforcer l’éducation ou à renforcer l’agriculture. C’est important que les citoyen.ne.s participent dans l’action et même aussi dans le financement. Au Tchad, par exemple, dans le cadre du projet Kommand III, nous avons mis en place des mécanismes de mobilisation de financements communautaires, afin de permettre aux habitantes et habitants d’un quartier et d’un arrondissement de mettre dans un pot commun leur argent pour financer des projets de développement local. Nous constatons que ce mécanisme fonctionne relativement bien, qu’il permet de mobiliser et de pérenniser aussi certaines infrastructures parce que les gens se sentent plus attachés à ce qu’ils ont contribué à mettre en place. Ça responsabilise également au niveau de l’entretien.
Vous travaillez avec quel type de partenaire et comment ?
Nous travaillons avec beaucoup de partenaires très diversifiés, en essayant de toujours collaborer avec les associations locales, de faire en sorte qu’elles puissent mettre en œuvre leurs savoir-faire, de les renforcer si besoin. L’un des défis de la société civile dans les pays où nous travaillons, c’est qu’elle est souvent encore assez peu structurée et qu’elle a besoin d’apport de compétences pour être pérenne. Nous travaillons aussi avec les communes, parfois comme de vrais partenaires. Par exemple dans le cadre du projet AGORA, au Tchad, où nous travaillons à renforcer techniquement huit communes du Tchad pour qu’elles puissent mettre en œuvre les services essentiels de l’accès à l’eau et de l’assainissement, au bénéfice de la population et surtout de faire en sorte que les plus vulnérables et les plus marginalisés soient associés aussi bien à la conception qu’à la mise en œuvre de ces services. Ce positionnement en assistance technique est assez nouveau, c’est-à-dire que nous sommes moins dans un registre de mise en œuvre directe des actions et bien plus dans l’accompagnement des acteurs : nous ne construisons pas le service mais nous sommes aux côtés des communes pour prodiguer conseils et méthodes pour qu’elles le fassent avec le souci de la qualité. Et ça, je trouve que c’est une évolution qui va être amenée peut-être à se développer dans la thématique à l’avenir.
Pouvoir d’agir : Le pouvoir d’agir, élément central dans un contexte de développement, est à considérer à partir de deux enjeux ; il nécessite dans un premier temps l’analyse du contexte dans lequel évoluent les différentes populations, le cadre politique, les pratiques socio-culturelles. Il s’agit ensuite de susciter l’envie d’agir des citoyennes et citoyens et de construire leur légitimité d’action. Sur la base de ces deux axes, renforcer le pouvoir d’agir se travaille par la mise en place d’un cadre favorable au libre choix et à l’action de ces acteurs. Le cœur de l’approche d’ID est donc de favoriser identification par les citoyens de leurs forces et problématiques puis d’accompagner la construction de solutions par et pour eux-mêmes. Initiative Développement appuie donc dans la définition et la mise en place concertée d’actions, dans le renforcement des capacités des populations, des Organisations de la Société Civile et des Collectivités Territoriales pour faire advenir des sociétés plus justes et inclusives, où chacun.ne y trouve une place. |
Comment imagines-tu la suite de la thématique Citoyenneté et Territoires ?
Ce que nous avons projeté comme évolution de la thématique, c’est de ne plus s’axer uniquement sur les enjeux de développement local, mais de s’ouvrir à des enjeux plus sociétaux, notamment à la question de l’inclusion des groupes spécifiques dans les politiques de développement. De nombreux groupes sont mis à l’écart de la vie et de la décision publique à cause de discriminations basées sur le sexe, l’âge ou l’appartenance ethnique. Nous avons plusieurs projets qui se tournent vers des actions plus poussées sur ces sujets-là et nous nous rendons compte que c’est un vrai enjeu de pouvoir inclure tout le monde dans les actions de développement local. Ainsi, si nous laissons les femmes de côté, c’est 50% de la population qui sont exclues de l’effort de développement, sans pouvoir exprimer des enjeux et priorités qui leur sont propres. Nous mobilisons donc de plus en plus les approches Genre, les approches par les droits pour permettre à ces populations de pas simplement être consultés, mais de pouvoir de fait choisir, décider et agir.
Approche genre : Dans un cadre de concertation, l’intégration de l’approche genre constitue un objectif de réduction des inégalités entre homme et femme. Par Genre, nous entendons : l’analyse des rapports de pouvoir entre hommes et femmes et la mise en avant des éléments qui ont une influence sur ceux-ci tels que les discriminations basées sur le sexe, la répartition des tâches, l’accès et le contrôle des ressources. Cette approche favorise l’intégration des femmes dans les instances de prise de décision, mais surtout travaille à un véritable renforcement de la prise en compte de leur voix. |
L’ enjeu est très clairement que nous puissions renforcer leur pouvoir d’agir pour qu’elles puissent participer à la décision, participer à l’action, pouvoir faire des choix, ce qui est principalement la grande difficulté aujourd’hui pour ces personnes. Ce qui est assez représentatif, c’est ce que nous faisons au Congo dans le district d’Enyellé tout au nord du pays. Dans le cadre du projet Nzela mené avec l’Association des Communautés Locales et Autochtones des zones forestières (ACAF) et l’Association Professionnelle pour la Valorisation des Produits Forestiers et Subsidiaires (APVPS) , nous travaillons à renforcer le pouvoir d’agir du peuple autochtone de la zone, les Baaka, victimes de très fortes discriminations, voire engagés dans une relation de servage avec l’autre communauté dominante. Et ça pose évidemment des problèmes pour le futur, les communautés risquant très rapidement de se diviser, d’en venir à des tensions plus ou moins violentes. Travailler dans ce contexte particulier signifie ne pas prendre parti pour l’un ou pour l’autre, rester neutre, mais cela veut aussi dire affirmer un choix fort. Celui de dire que nous travaillons sur un principe d’équité : – il y a un qui en a moins, nous en faisons plus pour qu’il soit à peu près au même niveau que l’autre à la fin de l’action. Notre stratégie est donc un peu différente de ce qui est fait dans les ONG spécialisées sur les droits humains. Ce que nous essayons de faire, c’est de reposer de façon un peu plus apaisée la relation entre les communautés, de travailler des deux côtés sur un temps long, aussi bien du côté Aka que du côté Bantou, pour faire en sort que les deux communautés se remettent à discuter, et trouvent ensemble et de façon dialoguée des solutions pour que chacun voit ses droits fondamentaux respectés.
Nous nous inspirons pour cela des Approches Orientées Changement appliquées à la mobilisation sociale, qui sont très fortement adaptées à cette réalité du territoire et des relations entre les deux groupes. Ces évolutions me semblent parfaitement s’inscrire dans l’ADN d’ID et dans l’enjeu mondial de transition citoyenne !