Haïti traverse depuis des mois maintenant des épisodes d’instabilité chronique. De la crise petro carib, à la crise de gouvernance du pays, en passant par la gestion de la crise sanitaire du coronavirus, le pays ne cesse d’être secoué.

Conscientes de l’impact que peut avoir l’aide au développement international, le CLIO (Cadre de Liaison des ONG), phénomène mis en exergue suite au séisme de 2010,  un collectif de 51 organisations s’est ainsi constitué pour travailler ensemble de manière conjointe afin d’améliorer l’efficacité de l’aide.

Plus de 10 ans après le séisme, et l’aide internationale déployée, les questions demeurent : comment mieux investir l’aide internationale et surtout, comment transmettre les projets de développement aux concerné·es : les haïtien·nes !

Retrouvez l’edito de Nicolas DERENNE, notre directeur sur place, en introduction du nouveau bulletin du CLIO.

 


 

 

Nous questionner ?

La période semble plus que jamais propice pour nous poser des questions. Au moins 4 facteurs devraient nous y pousser : la situation globale du pays, 10 ans d’aide depuis le séisme, le Corona et le monde d’après et enfin notre propre chantier stratégique du CLIO.

1) La crise politique, institutionnelle, sociale, économique et sécuritaire du pays.

Il s’agit de la première raison majeure non seulement de nous alarmer mais aussi de nous interroger aujourd’hui. Depuis au moins deux ans, la population s’appauvrit. Les jeunes sont en perte de perspectives. Les services publics et les entreprises sont en grande difficulté. Des bandes armées sévissent dans tout le pays, les violations des droits de l’homme se succèdent, tandis que les rapports pointent le manque de justice et l’impunité. Les maires ont été remplacés par des agents exécutifs intérimaires. Les organisations haïtiennes, elles aussi, sont en grande fragilité, alors qu’en même temps elles restent plus que jamais engagées pour réfléchir à des solutions et lutter pour le changement.

Quelle doit être la place des ONG dans ce contexte ? Dans ce pays qui avance de crise en crise, comment recréer de la confiance et
retrouver du sens ? Comment mieux travailler avec les acteurs nationaux et locaux pour les aider à se renforcer, à être eux-mêmes porteurs de solutions et à les faire atterrir ? Comment mieux entendre leurs enjeux – alors que jusqu’à date, ils sont peu représentés dans les espaces de réunion et de décision sur l’aide internationale ? Il s’agit bien là de quelques défis de la localisation
de l’aide1, que le CLIO tente aujourd’hui de prendre comme chantier essentiel et… urgent.

2) 10 ans après, quid de l’aide en Haïti ?

Nous sommes dans la dixième année après le tremblement de terre. Les circonstances du débutd’année n’ont pas permis de bien revenir sur cet événement tragique, d’en tirer les leçons et de nourrir des réflexions. Mais il n’est pas trop tard : plusieurs organisations nationales ont d’ailleurs reconnu que c’est toute l’année 2020 qui mérite d’être consacrée à cette réflexion importante. Depuis 10 ans, qu’est-ce qui a changé dans le pays ? A ce sujet, il est intéressant de repartir d’une conférence de l’AFD sur Haïti en 20172 , qui posait plusieurs bonnes questions. En ouverture, la conférence avait le courage d’appeler à « tirer les enseignements inévitables d’un échec de l’aide en Haïti ». « Tous les acteurs s’accordent à dire qu’il faut repenser l’aide en Haïti pour envisager l’avenir », lisait-on. « Une dépendance à l’aide (…) s’est développée [en Haïti et] est devenue une norme ».
Qu’en pensons-nous aujourd’hui ? Bien sûr, les responsabilités sont partagées. Mais cette question mérite de rester centrale au CLIO. Car si l’on parle d’échec, c’est qu’il y a quelque chose à changer… Et la première étape pour le changement, n’est-elle pas de s’interroger soi-même, se remettre en question ? L’analyse de l’AFD se poursuivait avec une autre conclusion principale : « Face à la faiblesse de l’État haïtien et à l’échec des programmes de développement jusqu’aujourd’hui, le soutien aux structures locales peut représenter une alternative viable pour les acteurs de l’aide ». « L’influence de la société civile est un levier à activer : il passe par le renforcement de ces acteurs. La reconsidération des acteurs locaux [par les organisations internationales] (…) est la condition sine qua non pour influencer le Gouvernement ». Trois ans plus tard, cette conclusion reste un enjeu majeur : contribuons-nous pleinement à « activer ce levier » ? Où en sommes-nous dans notre « reconsidération » des acteurs locaux ?

3) La crise corona et… « le monde d’après »

« Le monde d’après » est une expression très utilisée depuis plusieurs mois de l’autre côté de l’Atlantique. Elle interroge le modèle de société moderne qui, selon de plus en plus de monde, mène à des impasses : de fortes injustices sociales, le dérèglement climatique, la destruction de la biodiversité, le pouvoir des multinationales ou encore la déconnexion de certaines élites avec la réalité des conditions de vie des populations. Le récent mouvement Black Lives Matter MAGAZINE du L’ÉDITO (suite) et les revendications montantes des femmes sont des luttes qui découlent elles aussi de positions dominantes de certains groupes sur d’autres : positions alléguées comme exagérées ou fausses par certains… mais graves et révoltantes selon d’autres !
Pourtant, certains estiment que le « monde d’après » commence déjà à ressembler au monde d’avant, en pire : que déjà, l’urgence de la « relance » laisse peu de place au changement réclamé. Une fois de plus, le changement pourrait être relégué à plus tard… « quand les circonstances seront plus propices » … Mais le seront-elles un jour ? Et qu’en est-il pour notre « secteur » du monde du développement et de l’humanitaire, des ONG, des bailleurs, des agences internationales et des projets ? Sommes-nous à l’abri de tels
questionnements ? Quel monde d’après imaginons-nous ? Nos orientations actuelles sont elles bonnes ; ou y a-t-il des pratiques et
positionnements à faire évoluer ? Qu’en pensent les organisations nationales, les acteurs locaux ?
Ces questions, posées par plusieurs membres du CLIO, sont essentielles !

4) Le chantier stratégique en cours du CLIO

Plusieurs questionnements et enjeux importants sont ressortis du sondage réalisé par le CLIO en mars (cf. le rapport du sondage, juin 20203 ). Sous une autre forme, on retrouve ici certaines des questions susmentionnées : notamment concernant les relations entre organisations nationales et internationales ; la vision et le sens des pratiques de développement ; et d’autres points encore. Alors même que ce sondage ne représentait qu’une première étape, on voit que des questions importantes y apparaissent déjà, y compris sur des sujets parfois minoritaires ou tout le moins jugés secondaires.
Le CLIO compte sur ses membres pour pleinement prendre part aux prochaines étapes de ce chantier, qui se développera au cours du second semestre 2020. Des acteurs externes au CLIO y seront aussi associés afin d’ouvrir davantage la réflexion.
Ces points de réflexion n’en sont que 4 parmi de nombreux autres… En espérant qu’ils trouvent votre intérêt, n’hésitez pas à poser d’autres questions, réflexions, remarques, critiques, propositions… Elles sont nécessaires et bienvenues !

Nicolas DERENNE, directeur en Haïti pour Initiative Développement (ID) / Trésorier CLIO

 

Notes de page :
1) https://www.coordinationsud.org/documentressource/etude-onglab-localisation-de-laide/
2)https://ideas4development.org/uploads_old/2017/06/Sy
nthese-Conf-ID4D-Haiti-6juin2017.pdf
3) https://www.cliohaiti.org/spip.php?article1578