Lucie Escouflaire a été responsable du programme ECODEL, un programme d’appui au développement économique local en zones très rurales au Congo Brazzaville proposant la mise en place de comité de développement local. Ces espaces de concertation sont traditionnellement très investis par les hommes, et pourtant de nombreuses femmes œuvrent au quotidien pour la communauté : elles sont agricultrices, vendeuses, éleveuses,…  Elle a donc vécu de l’intérieur l’intégration des femmes dans les projets agricoles et les structures communautaires de concertation citoyenne qui constituent le pilier du développement local et économique sur ces zones.

Quel est le contexte de la zone où ID intervient ?

ID travaille dans deux départements ruraux, le Pool et la Bouenza, considérés pendant longtemps comme les greniers approvisionnant la capitale, Brazzaville. 5 des 7 districts où ID a travaillé dans ces départements ont été particulièrement touchés par la guerre qui s’est déroulée dans la fin des années 90, mais également par la « crise du Pool » en 2017-18 : les districts de Mindouli, Kindamba, Loumo, Boko et Louingui. Ces affrontements ont durablement touché les infrastructures, les services, et sapé le fort potentiel des producteurs et productrices agricoles. Les femmes ont été également considérablement impactés par les tensions et violences perpétrées dans le département. Les axes routiers entre la capitale et les villages de ces districts sont peu nombreux et souvent dans un état de délabrement qui empêche l’acheminement des denrées vers les marchés de la capitale, et donc leur commercialisation. L’appui à la diversification et à la commercialisation des produits agricoles est donc central dans notre projet.

 

Comment agissent les citoyennes et les citoyens pour s’en sortir face à ces difficultés?

Les habitant.es prennent leur destin en main, cultivent les champs, montent leur projet pour organiser la revente, innover, et / ou diversifier leur production. ID appuie ces acteurs et actrices qui s’investissent sur leur territoire en soutenant des dispositifs de concertation communautaire leur permettant de se coordonner: les Comités de Développement Local (CDL). L’appui d’ID se concrétise via des financements mais surtout via de la montée en compétences des membres de ces Comités. Toutefois, une des difficultés rencontrées a été la participation des femmes dans la prise de décision. Si elles sont majoritaires dans l’action concrète, elles peinent à obtenir leur place dans les instances de décision que sont les Comités de Développement Local qu’ID accompagne. Pourtant leur expérience et leur dynamisme sont précieux ! Il y a donc un réel enjeu à favoriser leur participation dans les différents espaces de dialogue et de prise de décision.

 

Comment ID contribue à renforcer la place des femmes dans ce contexte ?

A ECODEL, nous avons souvent insisté pour que la présence des femmes devienne systématique aux activités du programme. Tout en respectant les traditions et les coutumes locales, il est important de diffuser le message qu’un projet n’appuyant que 50% de la population (les hommes), n’aura pas autant d’impact sur le développement économique d’un district qu’un projet en intégrant 100%.

C’est pour cela qu’en fonction des situations et en fonction des projets nous avons instauré plusieurs options. Je prends le cas par exemple de projets de développement, finançant une activité ou procurant du matériel à des producteurs et productrices agricoles, au moment où les listes de bénéficiaires étaient faites via une diffusion dans les villages d’un district, nous avons fixé des quotas de bénéficiaires féminines. En effet les Comités avaient au départ du mal à envisager qu’une femme éleveuse l’était au même titre qu’un éleveur masculin, car cela va à l’encontre de l’image réservée à ce métier ! Deuxième exemple, au sein des structures de concertation communautaires (les CDL), les femmes étant souvent moins diplômées et moins scolarisées que les hommes, elles se sentent parfois elles-mêmes peu compétentes, alors même qu’elles ont une vision très pragmatique de la gestion d’un projet. Dans un des districts où ID est intervenu, nous avons même finalement opté pour des réunions spécifiques, entre « femmes du CDL », pour leur permettre de participer et d’avoir plus de poids lorsque des projets sont ensuite débattus en séance plénière. Entre elles, elles se sentent moins jugées, plus légitimes et donc plus à l’aise à prendre la parole et à exposer leurs expériences et leurs propositions.

Nous avons cependant été témoins de situations totalement inversées dans d’autres districts où les relations hommes-femmes sont moins marquées par une hiérarchie sociale et où les femmes du CDL sont littéralement à la tête des actions menées. Proposer à la fois des modèles féminins de réussite, des « femmes leader » et des temps adaptés spécifiquement aux femmes, modifie ou renforce leur position dans les organes de concertation. Les résultats n’en sont que plus riches et bénéfiques, et ce pour l’ensemble du territoire ! Elles prennent plus d’assurance et d’initiatives par elles-mêmes et les femmes des districts où nous travaillons s’en trouvent mieux représentées.

 

Progressivement, c’est en intégrant systématiquement les femmes, en démontrant la justesse de leur participation aux prises de décision et leurs capacités à gérer des projets, que leur présence au sein des organes de décision deviendra la norme.

La plus belle des réussites finalement pour nous, c’est lorsque les hommes membres des structures de concertation se rendent compte par eux-mêmes de l’intérêt d’intégrer les femmes au développement local. Un exemple m’a frappée. Dans trois districts où nous avons travaillé, les CDL ont opté pour un système de microcrédit pour que les agriculteurs et agricultrices puissent acheter du fumier pour leurs cultures et rembourser progressivement, afin que l’argent ainsi récupéré puisse permettre à d’autres de bénéficier de cet appui à l’amélioration des productions sur des cycles successifs. Très rapidement, et comme dans 90% des projets de microcrédit, ils se sont aperçus que les femmes ont été les premières à effectuer leurs remboursements, et cela parfois même avec de l’avance par rapport au planning des échéances. En effet, peu d’entre elles bénéficiant aujourd’hui d’appui aux initiatives agricoles et peu d’entre elles étant reconnues comme des personnes d’expérience du monde agricole, elles ont souvent une pression supplémentaire, elles veulent donc démontrer à tous leur solvabilité et leur fiabilité. Cette surprise pour les membres masculins des CDL leur a permis de réaliser que leur sérieux garantissait un peu plus l’avenir d’un tel projet, et donc de modifier leur campagne de sensibilisation pour la deuxième vague de microcrédit afin d’intégrer plus de femmes dans les bénéficiaires. Accompagner cette prise de conscience et ce changement est pour nous un beau cadeau.

 

Voyez-vous d’autres enjeux pour améliorer la prise en compte des femmes dans les programmes de développement ?

Oui complétement ! Notre intervention se joue à plusieurs niveaux. En tant qu’ONG professionnelle, le recrutement des salarié.es sur place joue un grand rôle. Majoritairement au Congo, ce sont les hommes qui sont scolarisés le plus longtemps, et possèdent des diplômes après le BAC. Ce sont également ceux qui maîtrisent le mieux la langue française et donc ceux qui développent les compétences qui sont demandés pour les postes que nous offrons. Les femmes sont de ce fait plus rares dans les candidatures, et il est de notre responsabilité, à compétences égales, de favoriser un recrutement féminin.

C’est particulièrement vérifiable pour des programmes situés en zones rurales à très rurales. Les femmes sont très rares dans les candidatures reçues, qu’importe le niveau de responsabilité, alors qu’elles sont  indispensables au bon déroulement du programme si l’on tient à appuyer la population dans son intégralité. Il faut dire aussi que ces postes exigent souvent d’elles des compétences pratiques qui au Congo sont vues comme des prérogatives masculines, comme la conduite de la moto ou de la voiture. Notre rôle est donc de trouver des solutions pour qu’elles puissent exercer leur métier au même titre que leurs collègues masculins : soit en revoyant l’organisation de la circulation des véhicules et motos pour qu’elles puissent se déplacer en fonction de leurs besoins, soit en leur permettant de se former progressivement à leur utilisation pour qu’elles développent cette compétence et deviennent autonomes. En zones urbaines comme rurales, leur présence sur le terrain pour nous est cruciale car elle envoie un double signal : d’une part, c’est un exemple concret pour les femmes et les filles sur place qui peuvent ainsi se projeter dans un avenir professionnel qui leur semble souvent bien éloigné ; et d’autre part cela permet également de mieux intégrer les femmes dans les groupes de travail, les comités de développement local etc., car les salariées intègrent mieux les contraintes des femmes qui sont à la fois mères, agricultrices ou éleveuses et en charge du foyer notamment en adaptant l’horaire et le temps de réunion, ce qui permet de réduire leur absence lors de prises de décision importantes. Enfin, dans une société majoritairement dominée par les hommes, la présence d’une animatrice femme permet également de créer plus facilement un lien de confiance avec les bénéficiaires féminines : c’est absolument crucial car elles représentent 50% de nos potentiel.le.s bénéficiaires!