Pourrais-tu nous présenter le programme PRODER en quelques mots et nous parler de tes actions dans le cadre de ce projet ?
C’est en tant que Volontaire Solidarité Internationale (VSI) que j’ai commencé à travailler au sein d’Initiative Développement en 2016, avec pour mission de relancer un programme qui existait déjà entre 2009 et 2014 dans le cadre de la coopération décentralisée entre la région Poitou-Charentes et la région de Fatick au Sénégal : le PRODER, Programme de Développement des Énergies Renouvelables. Je travaillais ainsi en lien avec une structure partenaire, l’ARD de Fatick, Agence Régionale de Développement, structure de l’Etat qui accompagne et appuie les collectivités territoriales sénégalaises pour la mise en œuvre des actions de développement de leurs territoires.
Mon arrivée a permis de reconstruire ce programme qui traite des questions d’accès à l’énergie et de gestion des ressources naturelles dans toute la région de Fatick, située au nord de la Gambie. Entre 2016 et 2018, il a fallu dans un premier temps monter une équipe et affiner notre stratégie d’intervention. Il y avait un passé très intéressant, mais cela valait-il la peine de reprendre ce qui avait été fait ou bien de partir sur autre chose ? Fallait-il continuer à travailler avec les mêmes acteurs ? Fallait-il aller en chercher d’autres ? Qu’est-ce qui avait changé depuis ? Ce sont autant de questions auxquelles nous avons tenté de répondre et je dirais que c’est à partir de 2018 qu’il y a eu une vraie équipe complète et où nous avons commencé à avoir de nouveau un réseau solide et une stratégie sur plusieurs années à dérouler. Le programme a donc pu fonctionner à 100 % et les financements trouvés ont permis d’avoir une action plus complète et de travailler dans de meilleures conditions, avec un plus grand effectif.
Quels sont les champs d’action du programme PRODER ? Tes principaux défis ?
Entre 2017 et 2022, nous avons travaillé sur quatre thématiques principalement dont deux autour de l’énergie. D’une part, l’appui au développement d’une filière artisanale de production et distribution de cuiseurs économes, ou “foyers améliorés”, qui sont des petits fourneaux, à bois ou à charbon, permettent d’économiser du combustible par rapport aux foyers traditionnels de cuisson. Nous appuyons donc la filière et les acteurs qui fabriquent et vendent ces foyers. L’idée n’est pas de se substituer aux acteurs mais plutôt d’être un facilitateur et de les accompagner via des formations, des financements et de l’appui en marketing ou en communication pour que la filière soit à terme autonome, viable et qu’il n’y ait plus besoin de nous. C’est quelque chose qui se fait et qui s’est fait dans d’autres pays à Initiative Développement. L’une des spécificités au Sénégal est que cette filière existait déjà. Elle a été créée en 2010, donc bien avant qu’ID intervienne. Il y avait donc déjà un réseau d’acteurs assez intéressants avec une capacité de production relativement bonne. Nous avons pu continuer à développer cela, nous ne sommes donc pas partis de rien.
La deuxième thématique est celle de la promotion des énergies renouvelables. Nous avons d’une part accompagné des entrepreneurs qui ont développé des activités génératrices de revenus à l’aide du solaire : congélation, pompage solaire et vente de kits et de lampes solaires. Nous avons pu aider à développer ces activités dans la région grâce notamment à des petits financements pour soutenir l’acquisition du matériel et un suivi-accompagnement sur plusieurs années. Et d’autre part, nous avons commencé à organiser à partir de 2018 à Fatick, le Salon Annuel des Énergies Renouvelables. Nous avons fait trois éditions : 2018, 2019 et 2020 avec l’objectif de rassembler en région, donc loin de la capitale, un maximum d’acteurs actifs dans le domaine des énergies renouvelables et de créer la passerelle avec les acteurs locaux du développement que sont les collectivités, services techniques, ONG et programmes, les entrepreneurs de la région notamment. Le salon a eu un vrai succès répondant à une forte demande. Cela a également permis de nous rendre un peu visible au Sénégal à travers une bonne communication autour de l’évènement.
Les deux autres thématiques sont orientées gestion des ressources naturelles dont une autour du reboisement. Nous avons continué le gros travail qui avait été fait dans le cadre de la première phase du PRODER qui faisait alors du reboisement sur les terres salées. C’est un reboisement un peu particulier parce qu’il s’agit d’un milieu très hostile et salé. Nous avons poursuivi le travail qui avait été fait tout en choisissant de diversifier les espèces à planter Mais ce n’est qu’une petite partie de ce qui a été développé ensuite. Nous avons cherché à diversifier un maximum les approches de reboisement pour répondre à une demande forte qui nous était faite dans tous les autres environnements de la région. On peut distinguer cinq types de reboisement. Le reboisement sur les terres salées, ensuite, le reboisement d’enrichissement dans les forêts, pour diversifier les essences présentes dans les massifs forestiers dans lesquels nous travaillons. Nous avons par ailleurs fait du reboisement urbain, pour embellir les communes et constituer un ombrage des rues. Du reboisement champêtre ou agro-forestier qui consiste à replanter des arbres dans les champs pour améliorer la biodiversité de ces espaces, enrichir les sols, lutter contre l’érosion, produire du bois,… les avantages de l’agroforesterie sont très nombreux ! Le dernier type de reboisement concerne les écoles où nous avons travaillé à embellir les cours de récréation, permettre de l’ombrage et, à moyen terme, la production de bois et de fruits. Ce ne sont pas moins de 500 000 arbres qui ont été plantés !
La dernière thématique, très intéressante, est l’aménagement participatif de forêts, qui a très bien marché à certains endroits, et possède un énorme potentiel. Il s’agit ici d’accompagner l’ensemble des acteurs qui se trouvent autour d’une forêt à mettre en place par eux-mêmes une gestion concertée et durable de la forêt. Nous intervenons donc en tant que facilitateurs dans la mise en relation de ces acteurs et dans l’appui-conseil à chacun d’entre eux afin de faire en sorte que la forêt soit gérée durablement par et pour les populations. Concrètement, nous sommes en lien avec trois types d’acteurs principaux qui sont les collectivités concernées, le service forestier et les populations qui vivent autour de la forêt. Les habitants sont les premiers concernés car ils cultivent leurs champs autour de la forêt et chassent ou au moins ramassent le bois pour la cuisson à l’intérieur de celle-ci. Ces trois acteurs sont les piliers d’une gestion durable de la forêt et doivent se mettre d’accord pour élaborer un plan d’aménagement forestier, puis le mettre en œuvre. Pour arriver à une forêt officiellement et effectivement gérée durablement par les acteurs locaux, nous accompagnons tout ce monde pendant un processus qui prend des années et des années. L’objectif est d’arriver à la rédaction d’un plan et sa mise en œuvre, qui précise pendant six à dix ans ce qu’il est possible de faire dans la forêt et ce qu’il est interdit de faire : quels arbres on peut couper ? Quand ? Comment ? Quel est le programme de reboisement ? Qu’est-ce qu’il faut faire pour protéger la forêt, pour surveiller l’exploitation illégale ? Nous pouvons par exemple accompagner la création de pare-feux pour protéger des feux de brousse, mettre en place une surveillance, des activités de reboisement et bien d’autres choses intéressantes.
La principale difficulté de ce projet étant le fait de collaborer avec une multitude d’acteurs d’horizons complètement différents sur diverses actions et sur un territoire qui reste très vaste. Le budget étant restreint, ce programme prend forme avec le concours de plusieurs autres partenaires. Mon principal défi était de développer des relations partenariales et m’organiser pour trouver du temps pour chacune des thématiques et faire avancer les différentes activités en parallèle.
Après des années passées à travailler aux côtés des populations locales, as-tu remarqué un changement dans la perception des enjeux liés au dérèglement climatique ?
C’est assez difficile de savoir ce que pensent les populations locales maintenant et ce qu’elles pensaient avant. Nous pouvons dire qu’elles sont assez conscientes du fait que ce problème existe et elles voient les effets depuis très longtemps et très clairement, notamment à travers l’érosion côtière. La côte recule à une vitesse incroyable. La montée des eaux est globalement de plus en plus visible et la saison des pluies est plus courte et beaucoup moins homogène. Il est donc très difficile de passer à côté. Donc ça, ce sont des choses que toutes les familles d’agriculteurs et de pêcheurs, et donc une énorme partie des Sénégalais et Sénégalaises, constatent et sentent. Maintenant, ils sont globalement dans un quotidien et un mode de vie au jour le jour qui permet difficilement de changer de comportement ou d’agir pour limiter le phénomène. Nous sommes dans une capacité d’action qui est très réduite avec peu de temps pour agir et une marge de manœuvre très faible. Il y a des aspects d’adaptation des pratiques de pêche, des pratiques de l’agriculture, de l’élevage qui doivent pouvoir être améliorées pour aller vers des capacités de résilience plus importantes et c’est peut-être là où il y a encore une bonne marge de manœuvre. Mais ce sera un processus difficile et mettra longtemps à changer, même pour des personnes qui sont conscientes du problème et qui ont déjà entendu parler d’actions qu’elles pourraient faire pour aller dans le bon sens. Ce n’est pas évident. C’est d’ailleurs comme chez nous, nous avons des personnes tout à fait conscientes mais qui vont avoir du mal ou vont prendre du temps avant de réellement changer de comportement. Le Sénégal n’y est clairement pour rien dans le dérèglement climatique mondial et en subit pourtant les conséquences de plein fouet.
Ces dernières années, la prise de conscience des élus de l’ampleur du changement climatique est une évolution claire. Le changement climatique s’est imposé comme un sujet majeur et j’ai eu l’impression que la prise de conscience des personnalités politiques s’est vraiment accélérée. Nous avions en effet de plus en plus de demandes et nous le sentions plus présent dans les discours et les réflexions. Il y avait une demande de la part de ces élus d’être accompagnés afin de mettre en place des réponses concrètes et vertueuses dans leur commune, notamment le reboisement. Début 2022, les élections locales ont eu lieu, avec une majorité des nouveaux élus plus sensibles à ces questions. Il y a une volonté, de faire quelque chose.
Qu’est-ce qui t’a le plus marqué ?
La chose qui m’a le plus marqué reste certainement l’état de dégradation des ressources naturelles, alors même que la dépendance des populations à celles-ci reste très forte. Elles se retrouvent dans un équilibre de vie qui est très instable. Je suis plutôt inquiet pour ces territoires de la région de Fatick, malgré toutes les bonnes initiatives et cette prise de conscience croissante. De nombreux phénomènes s’accélèrent ou se compliquent avec le dérèglement climatique comme la salinité des sols ou la déforestation. Ce que nous faisons est bien, cela va dans le bon sens et montre l’exemple mais cela n’a pas toujours l’impact souhaité et est toujours long à avoir un impact positif. Par exemple, quand il est question de reboisement, nous sommes sur du long terme. Sur dix arbres plantés, il n’y en a que quatre ou cinq qui vont survivre. Donc la complexité de la situation et l’impasse qui semble s’annoncer m’a marqué.
Cependant, d’un autre côté, la capacité des populations à s’adapter, à faire avec ce qu’elles ont, à rester positives et à continuer à aimer, à entretenir leur territoire et à chercher à le développer m’ont beaucoup marqué. C’est une chose qui est magnifique, incroyable et qui donne de l’espoir.
Quelles sont les perspectives ? Comment imagines-tu la suite du programme ?
Je pense que le PRODER est un super programme qui a l’avantage de ne pas agir en silo, c’est-à-dire de ne pas travailler sur une seule thématique qui mobilise beaucoup de moyens pour arriver à un résultat de très ciblé, mais qui, à l’inverse, regarde le problème dans son ensemble et qui essaie d’apporter des solutions à la fois complètes et complémentaires. Il a déjà été pris en exemple par différentes autres structures pour certaines actions, notamment en termes de reboisement et sur le Salon des Energies Renouvelables. C’est là aussi l’objectif de ce type de programme, trouver des idées, des stratégies, des solutions qui peuvent être dupliquées localement pour pouvoir avoir un impact plus grand car nous n’aurons jamais une capacité d’action suffisante par rapport à l’ampleur du problème. Il y a là cependant la possibilité d’élargir, de faire passer les actions à une autre échelle. Cela demanderait des moyens importants et prendrait du temps mais c’est faisable parce qu’il y a une demande qui est claire depuis le début de la part de la population et des élus locaux. Une extension du programme à la région voisine de Diourbel a également commencé, progressivement.